Il y a deux semaines, le designer Denis Gagnon, et le milieu de la mode en général, a sonné l’alarme à propos de la situation très précaire dans laquelle se retrouve la grande majorité des créateurs et des marques indépendantes de mode. Un appel à l’aide qui a résonné et suscité plusieurs initiatives à travers le Québec.

Iris Gagnon-Paradis

IRIS GAGNON-PARADIS
LA PRESSE

C’est après avoir discuté avec M. Gagnon et plusieurs autres créateurs qu’Azamit, la fondatrice du très couru SOUK MTL, s’est demandé ce qu’elle pouvait faire pour aider les créateurs québécois à passer à travers cette tempête.

« J’ai eu l’idée de créer une base de données, un endroit où le public pourrait trouver toutes les informations sur l’achat local, aider les créateurs à connecter avec le plus de gens possible », raconte-t-elle.

La plateforme est ouverte à tous, pas seulement à ceux qui ont déjà participé à l’évènement qui en sera à sa 18édition l’automne prochain. En quelques jours, le projet a suscité l’engouement des créateurs. En tout, le site mis en ligne mardi compte déjà 300 références.

Car un des freins à l’achat local est la méconnaissance de l’offre par les consommateurs, qui n’ont pas le temps — ni l’envie, bien souvent — d’écumer le web à la recherche de marques locales alors que les Amazon et grandes surfaces de ce monde offrent tout au bout du doigt. Azamit espère que la notoriété de son évènement fera en sorte que sa base de données devienne un point de chute pour ceux qui cherchent à savoir ce qui se fait de bien et de beau au Québec.

Un milieu solidaire

Évidemment, les temps sont difficiles, et demander aux gens de dépenser durant cette période de crise peut être mal vu. Mais d’autres gestes pour faire rayonner la mode et soutenir les créateurs sont mis de l’avant.

C’est un peu l’idée du mouvement #modesolidaire, lancé par la designer Jennifer Glasgow et propulsé par la grappe métropolitaine de la mode, mmode.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

La designer Jennifer Glasgow a eu l’idée de lancer le mouvement #modesolidaire.

Je voulais créer quelque chose de positif à partir de cette période très difficile. Les créateurs sont généralement très isolés dans leur studio de création, j’ai ressenti le besoin de leur faire savoir qu’ils n’étaient pas seuls.

Jennifer Glasgow

Plus de 150 créateurs ont participé à leur façon sur leurs réseaux, alors que les consommateurs sont aussi invités à utiliser le mot-clic afin, oui, d’encourager l’achat de produits ou de cartes-cadeaux en ligne, mais aussi afin de faire partager avec les autres leurs coups de cœur et leurs marques favorites, en se prenant en photo avec une création leur appartenant ou en envoyant simplement des messages d’encouragement.

Plusieurs autres initiatives sont nées sur le web, comme le groupe Liste d’entreprises locales pour adoucir la quarantaine, qui compte près de 5000 membres. Les marques locales peuvent y afficher leurs produits ou leurs services, et le public peut aussi faire part de ses trouvailles ou demander des suggestions.

De son côté, la Fondation de la relève entrepreneuriale du Québec a lancé le projet Je consomme québécois, à l’intention des commerçants, entrepreneurs et consommateurs. Les entreprises pourront ainsi s’y afficher gratuitement — plus de 500 inscriptions ont été reçues à ce jour, nous indique-t-on. Le site devrait être mis en ligne au cours des prochaines semaines.

Changement d’habitudes à prévoir ?

Même si l’achat local semble sur toutes les lèvres actuellement, est-ce que cela se traduira vraiment, une fois la crise passée, par un réel changement des habitudes de consommation ?

Pour Azamit, une chose est certaine : le mouvement prend de l’ampleur. « Au début, quand j’ai démarré le SOUK, les gens ne croyaient pas vraiment à mon projet. Mais depuis quelques années, le “localness” est devenu un phénomène mondial ; on le voit en nourriture, mais c’est une prise de conscience qui dépasse l’alimentation. »

Alors que la crise montre notre dépendance aux produits qui viennent d’ailleurs, est-ce que l’industrie ne devrait pas profiter de la situation pour relancer la production manufacturière au Québec ? « C’est une réflexion qu’on a entamée depuis un moment déjà chez mmode. Il y a une pénurie de main-d’œuvre, on n’a pas les ressources et le talent, même pour la production d’équipements de protection. On aura peut-être une écoute plus attentive pour la suite », estime Debbie Zakaib, directrice générale de mmode.

« Donnez au suivant » pour créer la richesse

L’entreprise montréalaise Maguire avait le vent dans les voiles avant la crise, et se préparait à ouvrir une boutique à Toronto. Sa cofondatrice, Myriam Belzile-Maguire, a craint le pire, notamment de perdre son nouvel investisseur. Heureusement, ce dernier, Jean-Sébastien Bettez, loin de se retirer, a plutôt décidé de l’appuyer financièrement.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Les fondatrices de la marque Maguire, la designer Myriam Belzile-Maguire et sa sœur Romy

« Jean-Sébastien a développé la technologie BIXI, et maintenant, il réinvestit dans d’autres compagnies québécoises. Il veut créer de la richesse au Québec. Si son investissement fonctionne avec nous, il nous a demandé d’investir à notre tour dans d’autres entreprises québécoises. C’est une espèce de “donnez au suivant”. »

« Si les entrepreneurs dans lesquels j’investis ont du succès et sont capables de réinvestir par la suite dans d’autres entreprises… pour moi, c’est la meilleure façon collectivement de grandir », ajoute M. Bettez, qui dit que le fait d’investir dans des entreprises québécoises est pour lui une « mission personnelle ». Ce dernier n’est pas certain que le mouvement local qu’on voit actuellement se traduira par un réel changement des habitudes. La planche de salut pour les entreprises d’ici, selon lui, est de réussir à percer à l’international.

Myriam Belzile-Maguire, elle, croit que cette crise a l’occasion de générer deux choses : d’abord, mettre un terme au « rythme effréné des collections, du cycle de la mode » au profit de « produits intelligents qui peuvent durer », mais aussi conscientiser les gens à « l’effet de chaîne ». « L’achat local, ce n’est pas juste une personne. Tout est interrelié. La crise nous permet de voir cela. »