Tous les secteurs de l’économie sont touchés par la crise sans précédent causée par la COVID-19, dont celui de la mode, qui vit présentement des heures sombres dominées par l’incertitude. Dans ce contexte, plusieurs créateurs craignent pour leur survie et lancent un appel à la solidarité par l’achat local.

Iris Gagnon-Paradis

IRIS GAGNON-PARADIS
LA PRESSE

« Il y a un énorme ralentissement. C’est une pente vertigineuse au niveau des ventes, donc j’ai pris la décision de fermer ma boutique, vendredi. Tout est fermé ici dans le Vieux-Montréal et il n’y a personne. Je ne peux pas continuer mes opérations et je ne veux pas mettre en danger mes employés. C’est une situation extrêmement difficile », explique au bout du fil le designer Denis Gagnon, qui se dit « déchiré » à l’idée de mettre ses employés de longue date, dont son adjoint, Martin Blais, au chômage.

Même s’il est conscient que, dans la situation actuelle, les gens n’ont pas trop la tête à consommer, le créateur a lancé un ultime appel à la solidarité, mercredi, sur les réseaux sociaux. Comment ? En encourageant si possible les marques locales d’abord, que ce soit en passant par leur boutique en ligne ou même en se procurant un chèque-cadeau pour l’utiliser plus tard, deux options que Denis Gagnon offre sur son site.

C’est une question de survie de notre économie locale. On vend beaucoup aux touristes, et ils ne seront pas là ce printemps, cet été. Mes contrats pour les bals ont été annulés. Ma soupape, ce sont les morceaux que je produis pour la Maison Simons, mais j’ignore ce qui va arriver avec cela. À 58 ans, je ne pourrai pas me refaire une santé financière si je perds tout.

Denis Gagnon, designer

Cette inquiétude, Debbie Zakaib, directrice générale de mmode, la grappe industrielle de la mode qui compte 250 membres issus de tous les secteurs de l’industrie (manufacturiers, détaillants, créateurs, etc.), la sent énormément. « C’est la folie depuis vendredi, nos membres nous appellent, certains en pleurant, c’est assez dramatique. Plusieurs sont dans des situations très précaires », constate-t-elle.

Mise à mal par le blocus ferroviaire, l’industrie de la mode encaisse un nouveau coup et doit composer avec des problèmes d’approvisionnement, de production, de gestion de ressources humaines (avec des mises à pied massives) et de logistique, en plus de voir ses ventes diminuer considérablement pour certains. D’ailleurs, de grands détaillants comme La Baie et Simons, mais aussi H&M, ont annoncé au courant des derniers jours la fermeture de leurs magasins physiques au pays.

mmode dit être en communication presque quotidienne avec les instances gouvernementales afin de les informer des enjeux principaux que rencontre l’industrie de la mode québécoise et d’amener le gouvernement à adopter des « mesures rapides et accessibles », que ce soit pour les employés qui perdent leur emploi ou les entrepreneurs qui se retrouvent sur la corde raide. D’ailleurs, plusieurs mesures annoncées mercredi par le gouvernement fédéral devraient aider certaines entreprises à garder la tête hors de l’eau, dont l’Allocation de soutien d’urgence pour les travailleurs qui ne sont pas admissibles à l’assurance-emploi et la subvention salariale offerte à certaines petites entreprises.

La communauté d’abord

L’achat local est dans l’air du temps, mais peut-être plus que jamais, les consommateurs prennent conscience de l’impact réel que leurs gestes peuvent avoir sur les créateurs et commerçants locaux. Plusieurs intervenants interrogés demandent aux consommateurs qui veulent faire un achat de se demander si le produit qu’ils désirent n’est pas offert par une entreprise locale avant de le commander sur Amazon ou toute autre plateforme du genre.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Debbie Zakaib, directrice générale de mmode.

Une grosse partie de notre rôle est d’encourager, de façon respectueuse, l’achat local. C’est la chose la plus directe qu’on peut faire pour aider nos entreprises actuellement.

Debbie Zakaib, directrice générale de mmode

En ce sens, plusieurs petits commerces et marques proposent des livraisons gratuites et rapides à leur clientèle ; d’autres en profitent pour annoncer différentes promotions.

Chez Off the Hook, les trois boutiques montréalaises sont fermées depuis lundi, et la plupart des 36 employés sont au chômage de façon temporaire. La boutique web, elle, continue d’être opérationnelle, avec deux employés qui travaillent dans l’entrepôt — OTH offre même la livraison gratuite le jour même dans l’île de Montréal pour tout achat de 80 $ et plus.

Si, comme tout le monde, son copropriétaire Harry Drakopoulous se demande de quoi demain sera fait, il a bon espoir que cette situation fera en sorte que les gens se tourneront, maintenant mais aussi après la crise, encore plus vers le commerce local.

« On est habitué de magasiner en ligne, mais pas nécessairement dans notre communauté. Je pense que cette situation peut amener du positif. Il faut supporter le local. Avant on le disait, mais est-ce qu’on savait pourquoi ? Maintenant, tout le monde a mal à la même place, en même temps. Je pense que ça va amener les gens à aller d’abord dans les commerces de leur quartier, leur ville, leur province pour faire leurs achats. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Harry Drakopoulos, coproriétaire des boutiques Off the Hook

Une réflexion que partage Céline Leboissetier de Marlone, une petite entreprise qui est à la fois marque de papeterie et design ainsi que studio créatif. « L’idée n’est pas de juger les gens qui achètent sur Amazon, mais d’encourager le réflexe d’acheter local, à des petits commerces comme les nôtres, qui sont vulnérables », remarque celle dont plus de 80 % du chiffre d’affaires de vente des produits comme les porte-clés, t-shirts ou illustrations est généré à ce temps-ci de l’année par les boutiques physiques, qui ferment actuellement leurs portes les unes après les autres.

Anne-Marie Miljours, la designer de Miljours, une marque d’accessoires en cuir écoresponsables, n’a pas encore fermé sa boutique de la rue Beaubien Est, où elle propose également plusieurs créations d’artistes et de créateurs locaux, mais elle a grandement réduit ses heures d’ouverture. Elle se demande combien de temps elle pourra encore garder son commerce ouvert.

PHOTO FOURNIE PAR LE SITE PHILBERNARD.CA

Comme plusieurs autres boutiques, Miljours, dans Rosemont, est toujours ouverte, mais avec des heures réduites.

« On est chanceux, car nous avons notre boutique en ligne avec tous les produits vendus en boutique, mais j’avoue que les gens ne sont pas trop là-dedans en ce moment ! Mais le message, c’est de ne pas oublier les créateurs d’ici, si vous faites des achats. On est capables de livrer super vite… sans problème de douane ! »

> Consultez le site du designer Denis Gagnon : https://denisgagnon.ca/

> Visitez la page de mmode : https://www.facebook.com/mmodemtl

> Consultez le site de Off the Hook : https://offthehook.ca/

> Consultez le site de Marlone : https://www.marlone.ca/

Consultez le site de Miljours : https://miljours.studio/